Полине Виардо - Письма (1850-1854) - Мемуары и переписка- Тургенев Иван Сергеевич

28 октября, 1, 4 ноября (9, 13, 16 ноября) 1832. Спасское

Spasskoie,

le 28 octobre/9 novembre 52.

C'est aujourd'hui mon jour de naissance, chere et bonne Madame Viardot - et c'est pour cela que je vous ecris.-- Je pense naturellement et immediatement a vous - a toutes les epoques un peu marquantes de ma vie.-- J'ai trente-quatre ans. Je croyais n'en avoir que 33, mais j'ai decouvert l'un de ces jours un petit carnet de ma mere ou nos naissances (celles de mon i'rere et la mienne) ont ete inscrites par elfe - le jour-meme.-- J'y ai trouve l'inscription suivante: Aujourd'hui, 28 octobre 1818 je suis accouchee d'un fils nomme Jean...1 a Orel, a midi,-- J'ai donc trente-quatre ans bel et bien sonnes.-- Diable, diable, diable - c'est que je ne suis plus jeune, mais du tout, du tout.-- Enfin!

Je crois vous avoir parle dans ma derniere lettre d'une melielle russe - aujourd'hui c'est un veritable ouragan - c'est tellement affreux et horrible que ca en devient, beau.-- La maison tremble et craque - et puis ces tenebres blanches qui tourbillonnent devant les fenetres. ... Mon pauvre frere devait arriver aujourd'hui chez moi directement d'un assez long voyage - j'espere qu'il aura trouve un abri quelque part; Tutcheff et sa femme sont revenus hier - en Bleme temps que moi, j'ai fait une excursion de deux jours a Orel, ville qui se trouve a 55 werstes de chez moi. J'ai tate un tant soit peu de la vie de province dans un chef lieu de gouvernement, c'est passablement triste,-- Je suis bien decide a ne pas mettre le nez dehors et a travailler dans mes quatre murs.-- A demain chere et bonne amie - je vous souhaite sante, bonheur et bonne humeur.

1-er/13 novembre.

Je ne vous ai pas ecrit ces jours-ci - mais il faut que je vous ecrive aujourd'hui... C'est encore un anniversaire - et savez-vous lequel? - II. y a aujourd'hui juste neuf ans que je vous ai vue pour la premiere fois chez vous - a Petersbourg - dans la maison Demidoff2. Je me souviens de cette premiere visite comme si elle avait eu lieu hier. - C'etait le matin - je n'etais pas venu seul - le petit major Komaroff m'accompagnait... Eh bien! malgre le ridicule acheve de ce personnage, j'ai toujours du plaisir a penser a lui - sa figure eveille une foule d'idees et de souvenirs; le hasard l'a associe a ce temps si regrette et si eloigne de moi - je sens renaitre en moi les impressions de cette saison de 1843 a 44... Neuf annees! - Helas - il y en aura dix que je n'aurai pas plus d'espoir de vous revoir que je n'en ai maintenant...3 Ce qui me manque ici surtout - c'est d'entendre de la musique.-- Voila six mois que j'en suis sevre, mais completement.-- Mme Tutcheff semble vouloir l'abandonner --j'ai eu hier toutes les peines du monde a la mettre au piano.-- Je l'ai priee de jouer le final de "D<on> Juan"4. Elle dechiffre bien et a le sens musical - mais elle aime a se renfermer dans sa coquille - surtout depuis la mort de sa fille.-- Puis elle aime trop son mari - et n'est heureuse qu'aupres de lui - elle me rappelle quelquefois ces petites peruches vertes, dites inseparables, qui se tiennent constamment cote a cote.-- Malheureusement son mari n'aime la musique que moderement - ou plutot il l'aime, comme beaucoup de monde, pour autre chose que pour ce qui est musique en elle.-- Il y a, par exemple, des peintres, dont les jouissances musicales proviennent du sentiment du coloris, de l'harmonie des lignes etc.; la plupart des litterateurs ne recherchent en fait de musique que les impressions litteraires - ce sont en general de mauvais auditeurs et de mauvais juges - Tutcheff, qui n'a aucune specialite - n'aime en fait de musique que ce qui ebranle vaguement certaines sensations, certaines idees en lui - c'est a dire qu'au fond il l'aime peu - qu'il peut tres bien s'en passer - et qu'il prefere le connu,-- Personne ici n'a la faim musicale qui me tourmente.-- La soeur de Mme T<utcheff>5 - jeune personne tres bornee, tres sentimentale et tres contente d'elle-meme, me donne sur les nerfs par ses extases, qui arrivent invariablement des la premiere note - et qu'elle a l'air de distribuer toutes chaudes et toutes pretes comme les galettes du Gymnase e; sa soeur est une nature bien plus elevee et plus serieuse - mais un peu seche.., et puis, je le repete, il y a ce terrible absorbant de mari! - Tout cela fait que je suis prive de musique... Cependant je compte aller l'un de ces jours chez un de nos voisins (a 50 werstes d'ici) qui a tout un orchestre avec un maitre de chapelle allemand... Mais je ne puis me figurer ce que peut etre un orchestre - achete - car ce voisin a achete les musiciens en masse7.-- Je vous en parlerai.-- Chere et bonne Mme V<iardot> - aujourd'hui - comme il y a neuf ans - comme dans neuf autres annees encore - je suis a vous de coeur et d'ame - vous le savez bien! - Ce 4/16 novembre, mardi.

Chere Madame V<iardot> - bonjour,-- J'espere que je vais bientot recevoir une lettre de vous - il y a aujourd'hui trois semaines que la derniere m'est venue.-- Je n'ai rien de nouveau a vous dire - il fait toujours un temps affreux.-- J'ai tant persecute Mme T<utcheff> qu'elle s'est mise hier au piano et avec l'aide de sa soeur - elle m'a joue plusieurs fois de suite l'ouverture de "Coriolan" de Beethoven (a quatre mains)8. Quel chef-d'oeuvre! - Je ne connais lias d'ouverture qui vaille celle-la.

Vous devez etre deja de retour a la rue de Douai - dites-moi comment vous passez vos journees.-- Vos samedis continuent-ils? Que lisez-vous? - Pour moi, je suis plonge jusqu'au cou dans les chroniques de Russes8.-- Je ne lis pas autre chose quand je ne travaille pas.-- Comment trouvez-vous cette fin d'une vieille chanson russe? (Il s'agit d'un jeune homme assassine et couche "sous un buisson").

"Ce n'est pas une hirondelle "Qui s'agite autour de son nid - "C'est une mere qui s'agite autour de son fils.

"Elle pleure - c'est comme une riviere qui coule; "Sa soeur pleure - c'est comme un ruisseau qui court; "Sa jeune femme pleure - c'est comme la rosee qui tombe; "Le soleil se leve; il sechera la rosee10.

Vous ne sauriez croire ce qu'il y a de grace, de poesie et de fraicheur dans ces chansons.-- Je vous en enverrai quelques-unes traduites... Cette promesse me rappelle une autre traduction... Tiens; et "Le Jeu du paysan" que je ne vous envoie pas11! Vous l'aurez dans une semaine - cela me servira de pretexte pour vous ecrire encore une fois.-- D'ici la, soyez heureuse et bien portante.-- Mille amities a tout le monde - Je vous embrasse les mains avec tendresse.

Votre J. T.

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