Полине Виардо - Письма (1850-1854) - Мемуары и переписка- Тургенев Иван Сергеевич

12, 13 (24, 25) июня 1850. Париж

Lundi, 24 juin 1850.

Paris.

9 h. du soir. Voici donc le dernier soir que je passe a Paris, chere et bonne Madame Viardot.-- Demain a pareille heure je roulerai deja sur la route de Berlin1.-- Je ne vous entretiendrai pas de mes angoisses, de mes tristesses, vous pouvez vous les imaginer, sans que je vous attriste encore par mes paroles.-- Tout mon etre se resume en un seul mot: adieu - adieu.-- Je regarde autour de moi, je rassemble tous mes souvenirs, jusqu'aux plus insignifiants - comme on dit que les emigrants pour l'Amerique ramassent jusqu'aux plus humbles objets do leur menage et j'emporte tout avec moi comme un tresor.-- Si vous voulez me promettre aussi de vous souvenir de moi - je crois que je supporterai l'absence avec plus de facilite - avec un coeur moins gros.-- Quand vous serez de retour a Courtavenel, promettez-moi de saluer en mon nom ses murs cheris - quand assis sur le perron par une belle soiree d'automne, vous regarderez se remuer les cimes des peupliers de la cour - pensez, je vous prie, a votre ami absent, qui aurait ete si heureux de se trouver la parmi vous.-- Pour moi, je n'ai pas besoin de vous promettre de penser souvent a vous; je ne ferai pas autre chose; je me vois d'ici, assis seul sous les vieux tilleuls de mon jardin, le visage tourne vers la France et murmurant tout bas: ou sont-ils, que font-ils maintenant? - Ah! je sens bien que je laisse mon coeur ici. Adieu; jusqu'a demain.

Mardi, 8 heures du matin.

Bonjour, pour la derniere fois en France, bonjour, chere Madame V. Je n'ai presque pas dormi; je me reveillais a chaque instant - et je sentais ma tristesse se prolonger jusque dans mon sommeil. J'attends une lettre de vous aujourd'hui - et une de Gounod; je l'ai prie de m'envoyer le "Soir" et le "Lamento"2. Vous souvenez-vous - mais non - je n'en suis pas encore a trouver du charme dans ces trois mots - plus tard peut-etre - mais pas maintenant. J'aurai une lettre de vous - n'est-ce pas?

Vous ne sauriez croire quel plaisir m'a cause votre rentree triomphale3.-- Je vous en prie, quand vous m'ecrirez en Russie, donnez-moi des details minutieux de vos representations - en general beaucoup de details.-- C'est un moyen sur de rapprocher la distance, en la bravant. Pensez-y. Je vous assure que des mots dans le genre de ceux-ci, par exemple: "Je me suis levee ce matin a 8 heures et j'ai dejeune devant la fenetre ouverte de mon jardin" otent bien des lieues a la distance - et il y en aura beaucoup entre vous et moi.

Deux heures plus tard.

J'ai la tete en feu; je suis eperdu de fatigue et de chagrin. Je fais mes malles en pleurant - je ne sais plus ou est ma tate - je ne sais vraiment pas ce que j'ecris.-- Je vous ai envoye mon adresse - je vous ecrirai de Berlin.-- Adieu - adieu; je vous embrasse tous, vous, Viardot - soyez benis - mes chers et bons amis, ma seule famille, vous que j'aime plus que tout au monde. - Merci de votre chere bonne lettre - je n'ai plus de paroles pour vous dire le bien qu'elle m'a fait - que Dieu vous benisse mille fois.-- Il est temps que je finisse - il est temps - il est temps,-- Allons, du courage - et bon espoir.-- Venez encore pour la derniere fois dans mes bras - que je vous serre contre ce coeur qui vous aime tant, mes bons, mes chers amis,-- et adieu. Je vous recommande a Dieu.-- Soyez heureux.-- Je vous aime et vous aimerai jusqu'a la fin de ma vie.-- J'embrasse aussi Manuel et Lady Monson si elle le permet.-- Adieu, adieu.

Voire

J. Tourgueneff.

P. S. Je vais chez Louise; je lui porto un livre allemand pour qu'elle se souvienne, elle aussi - de l'ami absent.-- Ah! je vous aime tous tant! - C'est maintenant que je le sens plus que jamais...

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