Полине Виардо - Письма (1850-1854) - Мемуары и переписка- Тургенев Иван Сергеевич

23, 26 июля (4, 7 августа) 1850. Тургеневе

Tourguenevo1.

Dimanche soir, le 21 juillet/2 aout 18502.

Me voila donc au beau milieu des steppes - au fond du' sac, chere, bonne, excellente amie - aussi loin de vous que possible, loin de toutes les facons - car nous n'avons pas de journaux ici comme vous pouvez bien vous l'imaginer.-- Prenez un atlas, cherchez sur la carte de Russie le chemin qui mene de Moscou a Toula et de Toula a Orel - et si entre ces deux dernieres villes vous trouvez un bourg du nom de Tschern - (un peu avant d'arriver a une autre ville qui a pour nom Mtsensk), pensez que je suis a deux lieues de France (10 werstes) de ce bourg.-- Ce petit bien que j'habite maintenant a appartenu autrefois a mon pere - et c'est pour le moment tout ce que je possede sur terre.-- Je vous parlais dans ma derniere lettre du fil auquel toutes nos esperances etaient suspendues: eh bien - ce fil s'est rompu definitivement et pour toujours.-- Le jour meme de mon depart de Moscou, tout s'est decide.-- Il m'est impossible et vous comprenez bien pourquoi - de vous communiquer tous les details de cette affaire; qu'il vous suffise de savoir que malgre tous mes menagements, mes sacrifices - apres avoir, pendant plus de quinze jours, epuise tout ce que j'avais de ressources dans mon esprit - je me suis vu force de choisir entre la perte de ma dignite, de mon independance - et la pauvrete.-- Mon choix n'a pas ete long a faire - j'ai quitte la maison de ma mere et renonce a sa fortune3.-- Vous me croirez, n'est-ce pas, mes amis, quand je vous dirai qu'il m'a ete impossible de faire autrement - je ne voudrais accuser personne - surtout maintenant - mais en verite, on est alle trop loin - beaucoup trop loin - le desir de tromper a ete trop evident, trop palpable - je vous le repete - dans cet instant je ne me croirais plus digne de votre estime si j'avais agi autrement.-- Quand nous nous reverrons - quand j'aurai ce bonheur si grand que j'ose a peine y croire - je vous raconterai tout... a present, je dois me taire. Heureusement, je n'ai pas entraine mon frere dans mon naufrage - je crois meme qu'il y gagnera par contre-coup et j'en suis bien content - car c'est un brave et digne homme.-- Sa femme aussi, que j'ai appris a connaitre beaucoup mieux qu'auparavant, est une excellente personne.-- Je fais des voeux pour leur bonheur - ils le meritent bien pour toutes les tribulations qu'ils ont subies.

Mais vous pouvez comprendre maintenant, sans que je vous le dise - avec quels sentiments j'ai revu le petit village ou je suis maintenant... Voila donc pourquoi j'ai quitte tant de bonheur la-bas... Mes amis, il n'y a que votre souvenir, que votre affection qui me soutienne - je succomberais sous le poids de la tristesse, si je n'avais mon passe - et l'esperance de l'avenir... Aussi vous n'avez pas d'idee combien je vous aime - je vous enlace, je me cramponne a vous avec une force desesperee - je vous cheris, je vous aime - je pense a vous a chaque instant.

Nous sommes arrives ici avant-hier, mon frere, sa femme et moi. - Mon frere va s'etablir ici en gentilhomme campagnard.-- Je passerai ici deux mois et apres avoir un peu arrange mes affaires, je retourne a Petersbourg pour y vivre en travaillant et par mon travail.-- La situation de Tourguenevo est assez riante. Des collines, des bois - une riviere qui serpente fort agreablement - de grands pres d'un beau vert - mais la maison est fort petite, le jardin tout a fait abandonne - pas de fruits - une absence presque complete de tout ce qui fait un menage... enfin, il faut tacher de se tirer d'affaire le moins mal possible.-- La femme de mon frere, qui n'est pas Allemande pour rien, s'est resolument mise a la besogne depuis les deux jours que nous sommes ici - et deja aujourd'hui nous avons une cuisine.-- On m'a arrange une petite chambre dans une vaste fabrique de papier, qui reste inactive pour le moment, grace a un proces que la mauvaise administration de ma mere nous a attire. De mes fenetres je vois un grand pre baigne par la riviere - des pluviers s'y promenent gravement - le village s'etend le long du rivage oppose qui est tres escarpe.-- J'ai deja ete a la chasse hier et aujourd'hui - il y a fort peu de gibier cette annee, cependant, a nous deux (mon chasseur Athanase et moi) nous avons tue 3 lievres, 8 coqs de bruyere, 5 perdrix et 1 caille.-- Ma Diane a fait merveille; elle a arrete des coqs de bruyere qu'elle sentait pour la premiere fois de sa vie avec une surete admirable; j'ai trouve ici un excellent chien, le fils de mon vieux Naples, qu'Athanase a dresse et auquel il a donne le nom d'Astronome. Tout cela me fait penser a Sultan, a nos chasses en Brie, a Courtavenel... Mon Dieu! mon Dieu! quand reverrai-je tous ces endroits cheris?-- Bonsoir - je suis fatigue, je vous serre les mains bien cordialement et je prie le bon Dieu de vous benir mille et mille fois.-- Soyez heureuse et ecrivez-moi.-- Soyez heu-i e use. - Mercredi, 4 aout4. 6 h. du matin.

Il fait une matinee splendide - l'air est dore, limpide et pur comme du cristal; on peut distinguer chaque feuille des saules de l'autre cote de la riviere.-- J'eprouve du bonheur a vous ecrire, a penser a vous par un temps pareil.-- Que toute votre vie soit radieuse et douce et belle comme cotte matinee! - Voila cinq jours que nous sommes ici - il ne s'est pas passe d'evenement important pendant ce temps: nous nous casons, nous nous arrangeons - mon frere se demene en diable - sa femme fait de son cote tout ce qu'elle peut - imaginez-vous que nous sommes entres dans une maison abandonnee.-- Ma mere est arrivee hier a sa campagne - a 15 werstes (3 lieues) d'ici; la premiere chose qu'elle ait faite en arrivant a ete d'expedier un ordre pour faire revenir le chasseur Athanase, dont elle n'a aucun besoin,-- elle veut me priver du plaisir de chasser avec un homme qui connait les lieux - c'est bien mesquin.-- Enfin! - je crains qu'elle ne soit venue ici pour tracasser mon frere, qui n'est pas encore completement - legalement - independant.-- Nous verrons.-- C'est bien triste - tout cela. Mon frere et sa pauvre femme - renaissaient a vue d'oeil dans cet air de liberte, qu' ils n'ont guere connu jusqu'a present. Enfin - il faut encore esperer que les choses n'iront pas aussi mal.-- Mon Dieu! quel beau soleil - quel ciel eclatant!-- On a de cela aussi en Russie - c'est invraisemblable - mais cela est.-- Penser qu'il ne faut a la lumiere qu'une imperceptible fraction de seconde pour aller d'ici a Londres - -- je vous envoie tout ce que j'ai d'affection dans le coeur sur un de ces magnifiques rayons.-- Je me suis deja mis au travail; il le faut - maintenant que je n'ai que cela pour vivre - et puis, j'en ressentais le besoin.-- La veille de mon depart de Moscou, j'ai recu une bien bonne lettre de Gounod avec force details sur vous, sur "Sapho" - mais je crois que je vous l'ai deja dit; je lui ecrirai l'un de ces jours. Dieu! que je serais heureux si l'envoye qui portera cette lettre a ichern m'en rapporte une de vous!.. Il y a plus de six semaines que nous sommes separes - et je n'ai recu en tout que deux lettres6.-- Chere et bonne amie, ecrivez-moi, je vous en prie, a demain (je recommencerai! une autre lettre demain). Que le bon Dieu vous benisse et vous protege. J'embrasse vos belles et cheres mains.

Mille amities a Viardot, a Choriey, a Manuel, a lady Monson.-- Adieu.-- Soyez heureuse, benie et bien portante.

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