Полине Виардо - Письма (1850-1854) - Мемуары и переписка- Тургенев Иван Сергеевич

8 (20) октября 1850. Петербург

Dimanche, 8 novembre {*}/20 novembre 1850.

St. Petersbourg.

{* Так в подлиннике.} Me voici a St. Petersbourg, chere et bonne Madame Viardot - depuis avant-hier; plus pres de vous de quinze jours.-- J'ai eu tant de choses a faire a Moscou pendant les 48 heures que j'y suis reste - qu'il m'a ete impossible de vous ecrire un mot et que j'ai du remettre ce plaisir jusqu'ici.-- Je ne saurais vous dire combien j'ai ete heureux de trouver ici la seconde grande lettre de Courte venel1; vous etes tous des anges que j'embrasse avec tendresse. J'ai tant de choses a vous dire et j'ai si peu de temps devant moi que je cours vite au plus presse - j'ai emmene la petite et je suis maintenant sur les dents pour l'expedier de la facon la plus sure. A force de courir a droite et a gauche, j'ai fini par deterrer une Mme Robert, Francaise retournant a Paris et qui consent a se charger d'elle - malheureusement, elle part samedi prochain avec le bateau a vapeur de Stettin - et j'ose a peine esperer qu'il me sera possible d'achever d'ici la tous les preparatifs necessaires, d'accomplir toutes les formalites. Cependant, si je ne l'expedie pas maintenant, je la ferai partir cinq jours plus tard - avec le bateau du Havre - si l'on veut consentir a ce voyage - entendons-nous2.-- Dans tous les cas, considerez deja cette lettre comme vous annoncant l'arrivee de cette Mme Robert avec la petite. Cette dame n'a pas l'intention de s'arreter en route - et sera a Paris dans 15 jours. Je lui remettrai une lettre pour vous, ou je vous dirai nos conditions avec elle3. Vous aurez la bonte de me faire une avance de 2 a 3 cents francs jusqu'au nouvel an - n'est-ce pas?-- Je n'ai pas trop d'argent dans ce moment.-- Maintenant passons au caractere de la petite. Je vous en aurais parle sans attendre vos questions.-- Mais je vous remercie du fond du coeur pour votre sollicitude. J'ai passe trois jours avec elle en tete a tete dans la diligence - et voici ce que j'ai cru remarquer: elle a une intelligence tout a fait hors ligne, un caractere ferme et deja fait, beaucoup de finesse et d'observation; mais je ciains qu'elle ne manque de coeur.-- Je croyais trouver une petite sauvage, timide et mal elevee - j'ai trouve un petit etre calme, presque hardi, ayant passe sa vie aupres do vieilles femmes qui la gataient, non pas comme on gate un enfant a soi - mais comme on gate une petite creature sul alterne dont on fait son jouet.-- Elle sait deja plaire - s'insinuer,-- avec sa remarquable intelligence elle a bien vite compris et juge sa position; vous imaginez-vous tous les defauts commodes et presque necessaires qu'elle a tranquillement acceptes et developpes dans son petit cerveau egoiste.-- Dieu veuille que cette nouvelle vie - avec ses conditions si differentes - ou elle va se plonger, lui serve de bapteme regenerateur!-- Mais il ne faudrait pas la gater - ce serait si vite fait!-- J'ai decouvert en elle une veritable passion pour la musique - c'est toujours une bonne garantie pour beaucoup de bonnes choses.-- Mais je n'ai jamais ressenti aussi profondement que maintenant combien c'est criminel de s'unir avec une femme - inconnue. Tous ces elements inconnus et mauvais qui se trouvent tout a coup meles avec d'autres... Enfin, il faut tacher de remedier au mal, pendant qu'il en est encore temps. Si jamais education a ete mal commencee - c'est certainement celle de ce pauvre petit etre; elle n'a vu que le mal et son intelligence s'est developpee aux depens de son coeur. J'ai fremi en lui entendant dire une fois avec beaucoup de sang-froid "qu'elle ne ressentait de pitie pour personne - parce que personne n'en avait eu pour elle".-- "Mais si tu voyais souffrir?" - "Eh bien, qu'est-ce que cela fait? Je n'ai de la pitie que pour moi-meme". Et puis, elle a ajoute viec un ton bien etrange dans une bouche de 8 ans:-- "Je asus petite, mais j'ai vu le monde; je sais tout - j'ai tout vu". Aussi, je vous avoue que je ne crois pas qu'elle puisse (avant d'avoir ete soumise a l'epreuve) se trouver en contact avec votre Louise; je le repete - c'est un potit etre a sauver - et je Compte beaucoup sur la revolution complete qu'elle va subir.-- La, du moins, elle sortiia do cette atmosphere d'antichambre ou elle a vecu jusqu'ici... Et peut-etre que quand elle verra le bien, son intelligence qui, je le repete, est plus que remarquable, lui dira qu'il faut etre bonne - et son coeur desseche et rapetisse grandira et se developpera precisement a la suite de ce qui l'avait etouffe - de son esprit.

Je lui arrangerai une petite toilette de voyage; je compte sur vous et sur la bonne et chere Mme Garcia pour le reste. A propos, Mme Garcia est bien injuste de m'ecrire que je n'ai jamais pense a elle dans vos lettres; je ne crois pas en avoir envoye une sans y mettre un bon souvenir pour elle. Cependant, je lui dois une lettre a elle en espagnol - et je m'acquitterai de cette dette dans ,1e courant de cette semaine. Je vous ecrirai encore une fois jeudi.-- La petite part samedi, si Dios quiere.-- Pour son nom de famille, je ne sais vraiment lequel choisir: quelque chose de simple et de francais. Dumont, Durand.-- Trouvez-en un et donnez-le lui - soyez en tout sa marraine.-- Je crois vous avoir ecrit son age; elle est nee le 13 mai 18424.-- Elle aura un passeport russe sous le nom de Pelagueia Ivanova. - Je ne vous parlerai pas de ma reconnaissance: c'est un mot qui n'a pas de sens entre nous; mais vous savez que vous pouvez compter sur mon devouement entier, absolu, eternel, vous savez que vous pouvez me demander ma vie et que je serai heureux de vous la donner.-- Je vous le dis - et je sais que vous le croyez...

Je suis force d'achever ma lettre avant d'avoir atteint le bas de la 4me page; je m'en vais chez le gouverneur general pour l'affaire du passeport.-- Je vous ecrirai encore une fois jeudi - et s'il plait a Dieu - longuement: je vous parlerai de "Sapho" - et de ces changements qui, je l'avoue, ne me persuadent pas trop.-- En attendant, soyez tous mille fois benis et remercies. J'ai loue deux chambres au 3me, sur la perspective Nevski, pres du pont d'Anitchkoff, dans la maison Lopatine5, au-dessus du comptoir de Iazykoff.-- Continuez a m'ecrire a la meme adresse6 - vos lettres me parviennent bien.-- J'ai l'intention de travailler ferme.-- Adieu - a jeudi; je vous embrasse tous, Viardot, Mlle Berthe, Gounod, Mme Gounod, Mme Garcia, Mr et Mme Sitches - des que je serai un peu libre, j'ecrirai a chacun en particulier.-- Pour vous - je me mets a vos pieds et j'embrasse le pan de votre robe. Soyez heureuse et benie - a jeudi.

Votre

J. T.

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