Полине Виардо - Письма (1850-1854) - Мемуары и переписка- Тургенев Иван Сергеевич

1, 3, 4, 5, 8, 9 (13, 15, 16, 17, 20, 21) декабря 1850. Москва

Moscou.

Vendredi, 1/13 decembre 1850, Bonjour, chere et bonne Madame Viardot!

Dimanche.

Il m'a ete impossible tous ces jours-ci de continuer cette lettre - continuer est joli - mais je puis le dire sans exageration - je n'ai pas cesse un seul instant de penser a vous, ma bonne, douce et genereuse amie - et a la petite Pauline.-- Je vous le dis - l'idee de la savoir entre vos mains me la rend chere - elle a raison de vous appeler maman - c'est vous qui en ferez ma fille pour de vrai. J'attends avec impatience une seconde lettre - elles viennent bien tard a Moscou - pour voir si l'impression favorable qu'elle parait vous avoir faite - s'est soutenue.-- Pourvu que son coeur grandisse bien vite... J'aime a me le figurer dans le creux de votre main. Sie wissen warum. Mein Leben und mein Herz sind auch da wie friiher. Sie haben es nicht fallen lassen, nicht wahr? Que Dieu benisse mille fois votre chere tete - et comment vont vos yeux?

On est tres aimable cette annee-ci pour moi a Moscou - et si je voulais, j'irais partout - mais je n'en ai nulle envie. Je vois fort peu de monde - la comtesse Sailhas d'abord - Stchepkine et son fils.-- Cette comtesse est une Russe mariee a un Francais, qu'un duel a force de retourner dans son pays.-- Elle est spirituelle, bonne, franche; elle a dans ses manieres quelque chose qui vous rappelle - nous sommes de grands amis.-- Elle a vecu dans le monde et s'en est retiree.-- Elle n'est pas jeune, elle n'est pas jolie - mais elle inspire de la sympathie en vous mettant a l'aise de prime abord. C'est un tres bon signe, comme vous le savez bien. Et puis, elle a un veritable talent.

Les scelles ne sont pas encore leves chez nous - mais cela ne peut pas tarder.-- Je compte retourner a Peters-bourg dans trois semaines.

J'ai une veritable soif de musique - il est impossible de la satisfaire ici.-- Que n'aurais-je donne pour une soiree passee avec Gounod! - Serrez-lui les deux mains de ma part et dites-lui que je l'aime comme un frere. Voudra-t-il faire ce que je lui ai demande1.-- Rappelez-moi au souvenir de sa bonne mere - dites a tous mes amis de Paris que je les porte dans mon coeur - je suis sur que Mlle Berthe est tres bonne pour la petite - et je lui en suis fort reconnaissant.-- Mais il faut que Pauline vous adore, il n'y a pour elle de salut que dans ce sentiment - il la regenerera - et si sa nature est bonne, elle ne pourra s'empecher de vous adorer. Je vous en prie, quand vous recevrez cette lettre, faites-la venir - et donnez-lui vos deux mains - entendez-vous - vos deux mains a baiser - et pensez a moi, s'il vous plait - pendant qu'elle jouira de ce bonheur - et ecrivez-moi que vous l'avez fait.-- Dites-moi si elle commence a faire des progres dans le francais - il faut, sans perdre de temps, commencer a lui enseigner le piano - je dis tout cela - mon Dieu, je sais bien que tout sera fait pour elle par un ange - je ne le dis que pour avoir un pretexte de me remettre a vos genoux...

Chere, chere, bonne amie, que tout ce qu'il y a de bon au monde soit votre partage.-- N'oubliez pas le plus fidele et le plus devoue de vos amis.

Lundi, 4/16 decembre.

Je viens de recevoir votre chere lettre, theuerste, liebste, angebetete Freundinn - cette lettre, dans laquelle vous me donnez tant de details sur Pauline.-- Dieu - que vous etes donc bonne - quel ange vous faites! - Cette lettre m'a remue tout le coeur.-- Allons - tant mieux si notre fille est bonne et aimante - tant mieux.-- Vous voyez bien - je vous le disais - elle vous adore. Oui, elle vous adore - je le sens dans mon coeur.-- Cela ne pouvait pas etre autrement.-- Maintenant que j'y pense - Sie ist ja meine Tochter.-- Je m'empresse de repondre a vos questions.-- Oui, elle a ete vaccinee - mais elle n'a pas eu d'autre maladie d'enfant.-- Je vous enverrai son extrait de bapteme des que je l'aurai. Vous comprenez bien qu'elle ne peut pas etre elevee dans une autre religion que la notre.-- Je vous en prie, envoyez-moi son portrait fait par vous et qu'elle mette au-dessous: "Pauline. Мама рисовала". Embrassez-la de ma part.-- Je sens, je sens que je commence a l'aimer veritablement. Mille bonnes choses a ce cher Gounod pour les quelques mots qu'il a mis dans votre lettre2.-- Il a bien raison de parler de "l'influence des mam* angeliques auxquelles la petite est remise" - oh oui, an-geliques, et belles, et bienfaisantes, et bien-aimees... Permettez-moi d'y coller mes levres. Merci aussi pour ce que vous me dites des "Huguenots" - et "Sapho" - a quand "Sapho"? - Vous ne me parlez pas du nom de famille que vous avez donne a la petite - s'il n'y en a pas encore - donnez-lui celui de Michel - j'ai une superstition pour ce nom-la - je vous en ai parle et vous en savez quelque chose - D<on>a Miguela3.-- Envoyez-moi de son griffonnage.-- Je suis si content - j'embrasserais volontiers tous les amis de la rue de Douai - a commencer par mon petit Lou4,-- sur ses deux joues, qui, je l'espere, sont grosses et grasses. Vous dites que Pauline s'est mise a sangloter quand elle vous a vue pleurer des suites de l'operation... Je lui revaudrai ces larmes-la.

Mardi, 5/17 decembre.

Bonjour, chere et bonne et genereuse amie.-- Il y a aujourd'hui juste six mois que je vous ai vue pour la derniere fois,-- une demi-annee.-- C'etait - vous le rappelez-vous - le 17 juin... Combien de temps se passera-t-il encore jusqu'a ce que j'aie le bonheur de vous revoir? - Dieu le sait... Une annee peut-etre encore - et je dois le dire - malgre l'eternite de cette annee - ce serait encore si beau que j'ose a peine y croire.-- Enfin - nous verrons, nous verrons... J'ai relu la premiere lettre que vous m'avez ecrite apres mon depart...

A propos de lettre, je vois que j'oublie de nouveau de mettre un numero aux miennes.-- Voyons - je recommencerai. Celle-ci sera n® 1.-- Je sais par coeur votre derniere lettre - je ne sais combien de fois je l'ai relue! - On a enfin leve les scelles.-- Nous n'avons trouve que des papiers insignifiants et en petit nombre - pas un seul acte valable - rien - pas meme une lettre pour nous - elle a tout brule avant sa mort.-- Cependant, nous avons trouve un journal ecrit au crayon pendant les derniers mois de sa vie6. Je le parcourrai cette nuit.-- Toutes les intrigues ont abouti a neant... Mais y en avait-il! - Le depit, le desir de rejeter la faute sur un autre - a peu a peu ouvert la bouche a tout le monde.-- Quel concert de recriminations,-- quelles vilenies se decouvrent, Il faut vite y mettre le hola - en payant largement toutes ces avidites - et en debarrasser la maison.-- J'ai gagne a tous ces desagrements un type de Tartuffe femelle, compose d'un melange de bonhomie presque enfantine et de ruse diabolique, tres origi-, nal et tres degoutant.-- Si nous nous revoyons - non, je veux dire - quand nous nous reverrons, j'aurai une fouie-de choses a vous raconter.-- A propos - il faut que je vous dise mon chagrin - imaginez-vous que cette petite Assen-ka, cet enfant etrange et charmant dont je vous parlais - a tout a coup grandi, enlaidi et s'est abeti. La Nature a repris ses droits - car si ce changement n'avait pas eu lieu, elle serait probablement morte - comme tous les enfants precoces - mais c'est dommage.-- C'est plus sain, plus naturel, mais beaucoup moins interessant.-- Cependant, la femme de mon frere va l'elever comme sa fille6. Ma belle-soeur est une tres brave et bonne personne, que j'aime beaucoup.

Minuit et demi.

Je reviens de chez la comtesse S<ailhas> et ne veux pas me coucher sans vous dire bonsoir.-- Ce matin, avant le diner, j'ai lu la petite comedie que j'ai dernierement faite a Petersbourg chez une autre comtesse (peste!), chez la femme du frere du comte Sollogoub, de celui, que vous avez connu a Vienne7.--Imaginez-vous qu'il est devenu fou, presque idiot.-- Cette petite comedie a eu un grand succes - je l'ai deja lue a la Csse Sailhas, a Stchepkine.-- A propos - j'ai revu Solovoi et sa femme qui n'est autre que la soeur de cette meme comtesse Sailhas.-- Il m'a demande de vos nouvelles.-- Mais il me fait l'effet d'un lievre devenu melancolique. Vous ai-je dit que j'ai rencontre deux jours avant mon depart de Petersbourg Goulevitch chez le Cte Wielhorski? - Il m'a embrasse avec effusion - et m'a accable de questions - sur vous - celui-la est un bon diable et il vous aime sincerement.-- J'irai le voir des que je serai de retour a St. P<etersbourg> - Je dois aller demain au theatre. On y donne ma piece en trois actes, "Le Celibataire" avec Stchepkine. Je me mettrai dans une loge grillee - je crois que j'aurai peur. Le 2d acte est d'un froid glacial.-- Cette piece a deja ete donnee plusieurs fois8.

Bonne nuit - je vais me coucher.-- Avant de m'endor-mir, je lirai le journal de ma mere - qui n'a echappe au feu que par hasard.-- Si je pouvais vous voir en songe - -- cela m'est arrive il y a 4 ou 5 jours,-- Il me semblait que je revenais a Courtavenel pendant une inondation - je voyais d'enormes poissons glisser au-dessus de l'herbe submergee - dans la cour - j'entre dans le vestibule - je vous vois - je vous tends la main - vous vous mettez a rire. Le rire m'a fait mal - je ne sais pourquoi je vous raconte ce songe-la.

Bonne nuit.-- Que Dieu veille sur vous... A propos de rire, l'avez-vous toujours si adorablement vrai et bon - et malicieux? J'aimerais a l'entendre - ne fut-ce qu'un instant - cette charmante explosion qui arrive ordinairement vers la fin - bonsoir - bonsoir.

Vendredi matin - 8/20 decembre.

i'ai eu beaucoup d'emotions diverses depuis mardi.-- La plus forte m'a ete causee par la lecture du journal de ma mere... Quelle femme, mon amie - quelle femme! - Je n'ai pu fermer l'oeil de toute la nuit.-- Que Dieu lui pardonne tout... mais quelle vie...

Je vous assure que j'en suis encore tout etourdi.-- Oh oui - soyons vrais et bons - ne fut-ce que pour ne pas mourir ainsi... Je vous montrerai un jour ce journal - l'idee de vous cacher quelque chose meme de penible, mais qui m'interesse - me pese.-- Vous savez tout jusqu'a present. Vous saurez tout jusqu'au bout - a moins que vous ne me disiez vous-meme de me taire.-- Chere et bonne amie - rien que de penser a vous dans cet instant me fait l'effet d'un flot de lumiere pur et doux - je tends mes mains vers vous et je vous benis du plus profond de mon coeur.

J'ai eu une emotion d'un autre genre avant-hier soir. J'ai assiste dans une loge grillee a la representation de ma comedie.-- Le public a ete extremement chaud - le troisieme acte surtout a eu un tres grand succes.-- J'avoue que cela fait plaisir.-- Stchepkine a ete admirable de verite, de sensibilite, d'entrain - on l'a rappele 1 fois apres le 2eme acte, 2 fois dans le courant du 3eme et deux fois apres.-- Une vieille actrice a ete excellente dans un role de commere, un autre acteur, un certain Jivokini tres bon dans le personnage d'un bon provincial - la jeune premiere a ete passable, un peu gauche, mais naturelle, les autres acteurs - mauvais9.-- Mais quelle lecon pour un auteur que d'assister a une representation de sa piece - on a beau faire - on devient, on se sent public - et la moindre longueur, le moindre faux effet vous frappe d'abord comme une etincelle electrique.-- Le 2eme acte est decidement manque - et j'ai trouve le public beaucoup trop indulgent.-- Cependant - en somme - je suis fort content. Cette epreuve m'a montre que j'ai de la vocation pour le theatre, et qu'avec le temps je pourrai faire de bonnes choses.-- Ecoutez, nous pouvons aller jusqu'a 1200 francs par an pour Pauline.-- Avant de quitter Moscou je vous en enverrai 800.-- Ecrivez-moi de quelle couleur est sa plus jolie robe,-- Je me sens de la tendresse pour cet enfant qui vous aime.-- Mais vous n'oublierez pas de lui donner vos mains a embrasser, n'est-ce pas? - Pendant toute une minute.-- Si elle ne comprend pas encore le francais - vous lui direz en russe: Ещё. Est-elle heureuse-cette petite morveuse-la! L'est-elle!

Envoyez-moi de ses cheveux - je n'en ai pas. Tiens - vous recevrez cette lettre deja en 1851... Si nous allions nous revoir cette annee? Aber wenn ich es auch konnte, ich komme nur, wenn Sie mich rufen.

Vous ai-je ecrit que Pauline est nee le 13 mai 1842? Je rabache aussi de cet enfant.-- Mais vous savez pourquoi.

Vendredi soir.

Ce journal ne me sort pas de la tete... Mais voyons, n'y pensons pas.-- Je suis seul dans ma petite chambre - il est bien tard - il fait un beau clair de lune - l'eclat de la neige s'est amolli - il est presque doux a l'oeil.-- Diane est avec moi - elle a pris beaucoup d'embonpoint et si Dieu lui prete vie - avant un mois elle aura mis au monde des petites qui lui ressembleront - car j'ai trouve ici un Monsieur exactement pareil a Diane - et tres distingue par ses talents. Je veux fonder une race de chiens admirables; je veux qu'on dise avec le temps: voyez-vous ce chien? C'est le petit-fils de la celebre Diane.-- Je viens de demander a Diane si elle se souvenait encore de Sultan.-- Elle a dresse un peu les oreilles et a cligne de l'oeil d'une facon tres significative.

Samedi 1 heure.

Le bon papa Stchepkine est venu chez moi des le matin - nous avons beaucoup cause - sa visite m'a fait plaisir - mais elle me vole une page de ma lettre - il faut que je l'envoie a l'instant meme, si je veux qu'elle parte aujourd hui. Je n'ai que le temps de me mettre a vos pieds - et de vous souhaiter tout le bonheur possible.-- Mille embrassades a Louis, Gounod, a tout le monde.-- Soyez tous heureux et benis.-- Je vous aime et vous cheris.

J'embrasse vos cheres et bienfaisantes mains.-- A bientot.

Votre

J. Tourgueneff,

1851

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