Полине Виардо - Письма (1850-1854) - Мемуары и переписка- Тургенев Иван Сергеевич

17 (29) апреля 1850. Куртавнель

Courtavenel. Lundi, 29 avril 1850.

Midi.

Bonjour, Madame. Guten Tag, theuerstes Wesen.

Comment allez-vous maintenant - dans cet instant? Vous venez de vous lever - (il est onze heures a Berlin) - un peu fatiguee - mais nous l'esperons aussi - heureuse de votre triomphe1 d'hier. Gounod et moi - nous vous avons suivie hier soir pas a pas. "Elle chante maintenant le petit duo" - disions-nous; "ah! maintenant, c'est le tour d'Ah mon fils", etc. etc.-- A la fin de l'opera, nous avons applaudi et jete des fleurs (une branche de lilas blanc). J'espere que nous n'avons pas ete les seuls.-- Nous attendons la lettre de jeudi avec impatience: ce jour-la, Leger2 nous paraitra plus beau qu'Antinous.-- Au moins - on ne vous tourmentera plus maintenant - et Meyerbeer cessera de boire votre sang goutte a goutte3.-- Il faut se bien porter, voyez-vous, et etre bien heureuse, bien tranquille et bien gaie.

Voici trois jours que nous sommes installes a Courtavenel. Il fait tres froid - on ne peut le nier - et si l'air est piquant a Berlin - il est perforant sur le plateau eleve de la Brie. Cependant - nous sommes contents d'y etre - et la maison elle-meme reprend peu a peu un air anime, secoue sa torpeur d'hiver. Jusqu'a present personne de nous ne s'est mis au travail. Gounod nous a fait un peu de musique avant-hier et hier dans la soiree - voila tout; mais cela va venir.-- Le bateau a ete remis a flot - mais jusqu'a present l'eau l'envahit avec frenesie - ce qui le rend peu propre a la promenade: il faut attendre que le bois se gonfle.-- Dites a Viardot que j'ai fait une grande excursion dans les environs: je suis alle au Jarriel, de la a Vaudoy - de Vaudoy a la Fontaine-Bernard et je suis revenu par Pecy: il faisait un vent a deraciner des chenes, ce qui est fort peu avantageux pour la chasse - et nonobstant ma chienne m'a trouve 7 pariades de perdrix - (je crois qu'un couple de perdrix se nomme ainsi) - et 3 cailles; Sultan a trouve une caille. Il est grand temps que Cid4 vienne d'Angleterre; car Sultan tourne decidement au vieux bonhomme; c'est un veteran qui est a la veille de devenir invalide.-- J'ai fait cette promenade avant-hier tout seul; hier je suis alle avec Gounod et nous n'avons vu que deux perdrix et un lievre - pres de la petite vigne.

Me voila donc de nouveau dans les murs hospitaliers de Courtavenel, devant cette grande cheminee de marbre gris! - Je vois de nouveau le buste de Tamburini, si admire par Jean - et le petit sanglier boiteux et sans oreilles a cote du grand chien brun a queue en trompette - et votre portrait si peu ressemblant par Senties en pendant a celui de votre mere5... Suis-jeen 1850 ou bien en 1849? - Helas - en 1849, je ne pensais pas au retour en Russie! - (No. Nous venons, Mlle Berthe, Gounod et moi, de nous montrer combien de vetements chacun de nous avait sur son corps respectif; et nous avons ete jusqu'a la peau, Mlle Berthe aussi - sur la poitrine - bien entendu {A bon entendeur, salut.}: chacun de nous a meme averti les autres quand le tour de la peau venait pour qu'on ouvrit bien les yeux).-- Veronique nous fait des diners excellents, que nous mangeons avec acharnement; et le matin, a dejeuner, nous nous disputons avec rage: j'excite l'indignation de la partie feminine de la societe par mes doctrines paradoxales.-- A propos de doctrines, je lis maintenant un ouvrage tres curieux de Washington Irving sur Mahomet6: ce melange d'enthousiasme vrai et de ruse, de foi et d'habilete qu'il y avait dans le caractere de cet homme extraordinaire est tres curieux a etudier.-- Mais je vais me mettre au travail - moi aussi.-- Cependant, je remarque que ma lettre prend une tournure de manteau d'arlequin; c'est pourquoi je prefere la continuer demain.-- Aujourd'hui je me contente de vous serrer la main aussi fort que je le puis, de vous souhaiter tout ce qu'il y a de bon et de beau au monde - et de vous assurer que vos amis vous sont devoues - hasta la muerte - comme dit Goya7. Votre J. T.

NB. Jean, surnomme Diane de Poitiers ou la Belle Joconde, est remplace enfin par Pierre ou Perrico, le Quasimodo de la Brie. Quelle chance! - Ah! que le parc est sale!!!

NB. Nous vous envoyons des fleurs de lilas - selon notre promesse.

NB. Je me suis deja battu avec le petit coq; Flore est devenue une espece d'ours blanc, tres velu. Cuirassier sue jusqu'au septieme ciel - (style de Mahomet)8. On dit qu'il fait tourner tous les fromages des environs: Le Brie devient Roquefort.

P. S. 2 heures - Gounod vient de recevoir encore une lettre de vous. Il est bien heureux9. - Mlle Cocotte l0 et moi, nous vous remercions de votre bon souvenir.

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