Полине Виардо - Письма (1850-1854) - Мемуары и переписка- Тургенев Иван Сергеевич

9 (21) июня 1850. Париж

Paris.

Mercredi {*}, 21 juin 1850.

{* Так в подлиннике.} Bonjour, ma chere et bonne Madame Viardot. Que Dieu vous benisse et vous protege a chaque instant de votre vie! Helas, oui - je pars mardi. Vingt-quatre heures de reflexions n'ont fait que me confirmer dans ma resolution. Je vous avais promis pour aujourd'hui une lettre plus detaillee1, mais a quoi bon? Qu'il vous suffise de savoir qu'il m'est impossible de remettre mon depart; vous pensez bien que sans des raisons bien graves, je n'aurais jamais pris une semblable determination2. Je pars - mais avec quelle tristesse dans l'ame, avec quel poids sur le coeur!

Allons - il ne faut plus y penser - et cependant je ne saurais parler d'autre chose. Je le pourrai, une fois de retour en Russie, mais ici, maintenant, cela m'est impossible... J'ai ecrit aujourd'hui au bon Gounod et a tous les habitants de Courtavenel, de ce cher Courtavenel, qui me semble maintenant le plus bel endroit de la terre, et dont je garderai le souvenir aussi longtemps que je vivrai. Quand le reverrai-je? Quand vous reverrai-je? Il faut esperer - pas trop tard.

Il y a longtemps de cela vous m'avez montre un air compose par votre soeur, encore toute jeune, sur ces paroles de Metastase: "Ecco il un fiero istante"3. Je me rappelle, j'en ai ete frappe alors comme d'un lugubre pressentiment. Depuis quelques jours ces mots ne me sortent plus de la tete. Addio, addio. Voila que ce mot: addio reveille en moi un autre souvenir: j'etais a Rome pendant le carnaval de 1840. Je traversais une petite rue isolee, quand tout a coup j'appercus sur le seuil d'une porte une belle fille en costume de paysanne d'Albano, qui tenait la main d'un homme enveloppe dans un manteau brun et lui disait en fondant en larmes: "Addio, addio". Elle le disait d'une voix si penetrante, si claire et si brisee en meme temps que le son m'en est reste dans l'oreille et que je crois l'entendre encore maintenant4. Je ne sais pas trop pourquoi je vous raconte tout cela. Addio!

Gounod et moi, nous avons maintenant, chacun de nous, vos deux daguerreotypes. Les yeux du mien semblent regarder. Je suis bien content de l'avoir.

J'ai vu hier Mlle Rachel dans "Angelo"5; elle y est mediocre et la piece est detestable. Mais les costumes de Mlle Rachel sont magnifiques.

Dites a Chorley que je ne partirai pas sans lui ecrire; que je tiens trop a son bon souvenir pour ne pas le lui dire. Saluez de ma part aussi Lady Monson et les East6. Pour le bon Viardot, je l'embrasse sur les deux joues. Diane ne verra pas Cid! Pauvre fille, elle aura bien froid en Russie, comme son maitre.

Vous ne m'en voulez pas, n'est-ce pas, de ce que je vous ecris d'aussi petites lettres? Que voulez-vous - je ne veux pas vous attrister et un proverbe russe dit qu'on parle surtout de ce qui vous fait mal. Demain nous aurons des nouvelles de la representation d'hier. J'espere qu'elles seront excellentes. J'ai beaucoup pense a vous toute la soiree. Mais quand est-ce que je ne pense pas a vous?

Ah! donnez-moi vos mains, mes bons amis. Que je les serre bien fort, bien fort! Je vous ecrirai tous les jours jusqu'a mon depart, et ensuite. Il parait qu'on a livre le pauvre Bakounine aux Autrichiens, c'est-a-dire a la mort.

Qui me l'aurait dit, il y a dix ans, quand nous vivions tous deux dans la meme chambre...7 Adieu. Que le bon Dieu veille sur vous incessamment. Soyez heureuse, benie, gaie, contente et bien portante. Pour moi, je suis a tout jamais

votre

J. Tourgueneff.

P. S. Soyez heureuse - c'est la priere de tous mes instants.

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