Полине Тургеневой - Письма (1855--1858) - Мемуары и переписка- Тургенев Иван Сергеевич

11 (23) октября 1858. Спасское

Spasskoie,

се 11/23 octobre 1858.

Chere fillette, toutes tes lettres commencent par des plaintes: mais je t'assure que je t'ecris plus souvent que tu ne le supposes, ou bien, peut-etre, mes lettres ne te parviennent-elles pas. Enfin, que je t'ecrive souvent ou rarement - il ne faut pas pour cela te mettre en tete que je t'oublie, que je ne t'aime plus, depuis que je suis dans ma Russie, etc.1 Tout cela, ce sont des folies; je t'ai prouve que je t'aime et je te le prouverai encore. Tranquillise-toi, prends patience et travaille: tout le reste viendra a son heure.

Je te remercie beaucoup de ta grande lettre, quoiqu'elle soit toute emaillee de fautes d'orthographe et bien difficile a dechiffrer; mais ce n'est pas la-dessus que je veux te faire la guerre aujourd'hui - c'est sur autre chose. J'ai trouve dans ta lettre l'expression d'un defaut dont il faut que tu mettes tous tes soins a te corriger; je veux parler de ton excessive susceptibilite, qui peut te rendre boudeuse, aigrie, meme ingrate. Mme V a oublie de t'inviter a la promenade - voyez-vous la grande affaire! Mais crois-tu donc qu'elle n'ait pas de preoccupations, des soucis fort importants peut-etre? Ne pourrait-elle pas avoir des mouvements d'humeur, malgre l'egalite si parfaite de son caractere? Tu t'es deja fait et tu te prepares des souffrances bien inutiles avec cette malheureuse susceptibilite, qui n'est que de l'amour-propre malade.-- Qui t'a donne le droit de parler du degout que Mme V aurait eu pour toi? Ne sens-tu pas qu'il y a de l'ingratitude a lui supposer seulement un pareil sentiment pour toi - a elle, qui t'a toujours traitee en mere? - Cette faeon de se ravaler, de s'humilier - n'est encore que de l'amour-propre. Corrige-toi de ce vilain defaut, mon enfantj et sois persuadee que s'il y a fort peu de personnes qui vous aiment (et qu'on aime) veritablement - tout le monde est dispose a avoir de l'affection pour quiconque ne blesse et ne chagrine personne. Supposer les autres mechants - c'est avouer que l'on ne se sent pas bon soi-meme. Tu t'es gatee de gaite de c?ur tes vacances de 58 - comme tu dis - a Courtavenel; que ceci te serve de leeon!

En voila une et bien longue - et qui te fera regretter peut-etre de tant desirer d'avoir de mes lettres. Enfin j'ai du le faire - n'en parlons plus. Je dois te dire que j'ai ete malade d'une fievre que j'ai attrapee a la chasse; je suis gueri - mais je ne sors pas encore.-- Je quitte Spasskoie dans quinze jours; je passe l'hiver a Petersbourg2.-- Ecris-moi, jusqu'a nouvel ordre, a l'adresse suivante:

"a St. Petersbourg, Russie,

a la redaction de la revue: "Le Contemporain"

pour remettre a M. J. T".

Il n'y a pas besoin de mettre d'adresse en russe. Je t'ecrirai des mon arrivee a Petersbourg. Tes promesses de bien travailler me remplissent de joie; fais en sorte qu'a mon retour a Paris tu puisses me jouer couramment une sonate de Beethoven, ecrire une grande lettre sana l'ombre d'une faute - et surtout - n'etre plus susceptible. C'est alors - pour le coup - que je me mettrai a t'aimer! Cela n'empeche pas que je ne t'aime deja beaucoup, mais beaucoup, a present. Je te souhaite bonne sante, et bon courage; je t'embrasse bien fort et suis

ton pere qui t'aime

J. Tourgueneff.

P. S. Mille amities a la famille Tourgueneff; mes respects a Mme Harang. Je te donnerai des nouvelles d'Olga Tf des que j'en aurai moi-meme.

Иван Тургенев.ру © 2009, Использование материалов возможно только с установкой ссылки на сайт