Полине Тургеневой - Письма 1859-1861 - Мемуары и переписка- Тургенев Иван Сергеевич

Май ст. ст. 1861. Спасское

Pour Pauline.

Ma chere enfant, ta lettre m'a fait le plus grand plaisir - et cette fois-ci ce n'est pas une phrase banale - (du reste je n'en fais guere avec toi) - mais une verite. J'y ai vu avec plaisir que tu te rends un compte assez desinteresse de ton propre caractere; - l'element de la reflexion domine dans ta lettre - et tu sais, combien j'ai toujours insiste la-dessus. Tu as l'air d'expliquer un peu les defauts qu'il y a en toi par une certaine necessite - par ce que ta position avait d'irregulier; je ne veux pas nier ce que tu dis - seulement il me semble que du moment ou les defauts sont reconnus, on peut toujours les vaincre, quelle que fut leur origine. C'est une excellente chose, par exemple, d'avoir un caractere ferme, voire meme indomptable - mais a condition d'etre aussi de fer, comme tu dis, vis-a-vis de ses propres passions. Une volonte energique, quand il s'agit de resister a l'influence d'autrui - (et souvent meme a une bonne influence) - et en meme temps de la mollesse, de la paresse - et une impossibilite absolue de resister au desir d'acheter un nouveau chapeau etc.-- ce n'est pas la ce qu'on pourrait desirer de meilleur. Et puis cette concentration de toute ta personne - dont tu parles - n'a-t-elle pas eu pour resultat de te rendre peu aimante, soupeonneuse et dominatrice, ce qui faisait que tu n'entrais en relations qu'avec des personnes que tu jugeais inferieures et que tu pouvais planter la a la premiere velleite - comme on jette de vieux gants - tandis que tu te renfermais dans une espece de timidite sauvage des que tu te sentais avec des egaux ou des superieurs. Je compte beaucoup sur le voyage1 que tu vas faire pour t'ouvrir et t'assouplir l'ame en la remplissant de spectacles et d'impressions qui font oublier les eternelles preoccupations personnelles, ce moi, qui se retrecit et se desseche s'il ne songe qu'a lui-meme. Du calme et de la bonte - de la bonte surtout, partout et toujours - voila le principal; il faut pouvoir regarder jasqu'a un arbre avec bonte. J'ai remarque aussi que la bonte amene souvent une certaine elevation apres elle - ce qui s'explique facilement: la bonte vous detache de vous-meme - vous tire de la fange de l'egoisme. Je suis persuade comme toi que l'hiver qui nous attend a Paris - sera plus agreable que celui que nous avons passe ensemble: il y aura moins de mesentendus - et plus de choses communes entre nous. Je suis heureux de voir que tu ne comptes pas negliger ta musique2 - et je crois remplir un devoir en te priant d'etre econome, le plus possible. C'est necessaire, vu l'etat de mes affaires3; efi puis ce serait un indice de preoccupations plus elevees et plus ideales.

Allons, assez de philosophie comme cela; je t'ecrirai bientot et je t'embrasse de tout mon c?ur.

Ton pere J. Tourgueneff.

J'ai trouve tout le monde bien portant.

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