Полине и Луи Виардо - Письма 1859-1861 - Мемуары и переписка- Тургенев Иван Сергеевич

8(20) июня 1859. Виши

Vichy,

се 20 juin 1859.

Me voici donc à Vichy, chère et bonne Madame Viardot - installê dans une fort jolie chambre de Vhôtel du Louvre, rue de Nîmes (à bon entendeur, salut!)1.-- J'ai dêjà vu mon docteur, pris deux verres d'eau, je me suis abonnê chez Strauss, chez Bougarel (un cabinet de lecture) - l'heure de mes bains est fixêe à 3 h. 3/4 - enfin je suis un buveur dans toute la force du terme: ma position est rêgularisêe. Mon docteur me promet monts et merveilles... Nous ver rons!

Vichy est loin d'avoir l'aspect avenant et coquet des villes d'eaux d'Allemagne: c'est un peu sale, un peu triste et jusqu'à prêsent pas mal vide.-- Un horrible orgue de barbarie hurle, gêmit et grince dans ce moment sous ma fenêtre... on ne l'aurait pas tolêrê à Carlsbad ou à Ems.-- Il y a peu d'arbres - une grande rivière, l'Allier roule sur un lit de graviers beaucoup trop large - des flots d'un jaune maussade: c'est un torrent hargneux et sans poêsie.-- Beaucoup de peupliers partout - et il pleut.

Tout cela ne contribue pas à m'inspirer une grande gaietê: et puis - pour me distraire dans mon voyage, j'avais choisi "Les Pensêes" de Pascal2, le livre le plus terrible, le plus dêsolant qui ait jamais êtê imprimê3.-- Cet homme piêtine sur tout ce que l'homme a de plus cher - et vous met par terre dans la boue - et puis, pour vous consoler, il vous offre une religion amère, violente, qui vous abêtit (c'est son mot) - une religion que l'intelligence (celle de P(ascal) lui-même) ne peut pas ne pas repousser, mais que le cœur doit accepter en s'amoindrissant4.-- (Pensêe 72: "Comminutum cor" (cœur amoindri). St. Paul.-- Voilà le caractère chrêtien. "Albe vous a nommê - je ne vous connais plus". Corneille. "Voilà le caractère inhumain.-- Le caractère humain est le contraire")5. Le contraire du chrêtien aussi, oserai-je ajouter - du moment qu'on rêduit le christianisme à l'êtroite et lâche doctrine du salut personnel, de l'êgoïsme.-- Mais jamais personne n'a eu les accents de Pascal: ses angoisses, ses imprêcations sont terribles; - Byron n'est que de l'eau claire à côtê. Et quelle profondeur, quelle luciditê - quelle grandeur! - Ecoutez: "Nous sommes incapables de savoir certainement et d'ignorer absolument.-- Nous voguons sur un milieu vaste, toujours incertains et flottants, poussês d'un bout vers l'autre.-- Quelque terme où nous pensions nous attacher et nous affermir - il branle et nous quitte; et si nous le suivons, il êchappe à nos prises, nous glisse et fuit d'une fuite êternelle. Rien ne s'arrête pour nous. C'est l'êtat qui nous est naturel, et toutefois le plus contraire à notre inclination: nous brûlons de dêsir de trouver une assiette ferme et une dernière base constante pour y êdifier une tour qui s'êlève à l'infini; mais tout notre fondement craque et la terre s'ouvre jusqu'aux abîmes"6.

Quelle langue libre, fortej hardie et grande!7 - Et ces coups de boutoir:

"Le dernier acte est sanglant, quelque belle que soit la comêdie en tout le reste. On jette enfin de la terre sur la tête - et en voilà pour jamais"8.

ou:

"On dirige la vue en haut - mais on s'appuie sur le sable et la terre fondra - et on tombera en regardant le ciel"9.

ou bien encore:

"Que le cœur de l'homme est creux et plein d'ordure!"10 Mais en voilà assez, trop peut-être.-- J'ai la bouche toute amère de cette lecture11; pourquoi vous en parler? Mais je vous dis tout.

Il y a peu de Russes ici; tant mieux.-- J'espère que je pourrai rester seul et travailler12.

Ecrivez-moi, je vous prie, et sans tarder.-- Si vous saviez quel plaisir me fera votre lettre! Mais vous le savez.-- Adieu - à revoir; mille amitiês à tout le monde, mille embrassades aux petites; je vous serre les mains bien cordialement. J'ajoute deux mots pour Viardot.

Votre J. Tourguêneff.

Mon cher ami, Je ne vous tiens pas quitte de la lecture de ma nouvelle13; il faut que vous me disiez votre opinion - j'ai une trop haute idêe de votre goût si sûr pour ne pas dêsirer votre critique, tout en la craignant un peu.-- Vous allez bientôt à Courtavenel - vous y aurez du temps de reste; mon insistance n'est plus si indiscrète.-- Si vous voulez bien, comme par le passê, m'offrir l'hospitalitê à Courtavenel, après mon retour de Vichy - je pourrai peut-être vous montrer un nouveau travail14 - ou bien nous ferons une traduction des poêsies lyriques de Pouchkine15. Mais tout cela est encore dans l'avenir et je veux être sûr de ne pas avoir perdu mon temps - dans le passê.

A vous de cœur

J. T.

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