Валентине Делессер - Письма (Апрель 1864-декабрь 1865) - Мемуары и переписка- Тургенев Иван Сергеевич

5 (17) июня 1865. Спасское

Spasskoïé,

се 5/17 juin 1865.

Chère Madame.

Prenez, s'il vous plaît, une carte de Russie - et en suivant du doigt la route qui mène de Moscou par Toula à Orel, vous trouverez entre ces deux villes et plus près de la dernière une ville d'un nom assez difficile à prononcer: Mtsensk. C'est un peu au nord-ouest de ce Mtsensk que se trouve le village que j'habite depuis deux jours et d'où je vous écris dans une chétive petite maison en bois, assez propre dans sa caducité et située au milieu d'un vaste jardin à peu près abandonné et qui n'en est que plus beau. Si vous vous souvenez d'un petit roman en lettres de moi et qui se nomme: "Faust" - eh bien! la première lettre renferme une description assez fidèle de Spasskoïé1. Seulement je ne puis pas, jusqu'à présent, faire comme le monsieur dont il s'agit, je ne puis pas me promener dans mon jardin: le temps est trop mauvais. Il vente, il pleut, il fait froid comme en novembre... et moi, qui ai grillé à Bade!

J'ai trouvé en arrivant ici une lettre de Mérimée, qui me parle de vous et du dessein qu'il a de vous soumettre la traduction d'une petite fantasmagorie, que j'ai commise il y a deux ou trois ans2. J'aurais bien voulu me présenter à vous sous une forme un peu plus digne - mais... enfin! je compte sur votre bienveillance - et sur votre impartialité pour me dire mes vérités - tout net.

J'y compte surtout parce que cela me procurerait le plaisir de recevoir une lettre de vous ici. L'adresse peut être mise en franèais: Mr J. T - Gouvernement d'Orel, ville de Mtsensk - Russie - par St-Pétersbourg. Je ne pars d'ici que dans un mois, après avoir arrangé mes affaires; je compte être à Paris vers les premiers jours du mois d'août - et tout naturellement j'irai vous voir; mais je serais bien content d'avoir quelques nouvelles authentiques de vous et des vôtres - avant cette époque. Vous savez qu'une lettre met 8 à 10 jours pour faire le trajet de Paris jusqu'ici.

J'ai traversé la Russie trop vite pour pouvoir vous dire quelque chose de positif sur les changements qui s'y sont produits depuis trois ans et qui sont grands en effet: cela se voit moins à la surface. Ce n'est pas un éboulement... cela ne l'est pas encore: c'est un effondrement - un déplacement quelquefois imperceptible mais général des mœurs, des fortunes, de toutes les classes de la société. J'ouvre, tant que je puis, les yeux et les oreilles; mon séjour ici ne durera pas assez pour que je puisse espérer me rendre, comme pn dit, maître de mon sujet; mais je ne serai plus dépaysé. Dans quelques jours je vais assister à une première assemblée communale élective - où toutes les classes sont également représentées - et où les paysans ont même la majorité: ce sera curieux et instructif3.

Désirez-vous que je vous rapporte quelque chose de Russie? Une coiffure de paysanne, etc. etc.? Dites-le moi.

Mille amitiés à tout le monde et le shake-hand le plus cordial à vous.

J. Tourguéneff.

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