Полине Виардо - Письма (1866-июнь 1867) - Мемуары и переписка- Тургенев Иван Сергеевич

14, 15(26, 27) марта 1867. Москва

Moscou.

Au comptoir des Apanages.

Boulevard Pretchistenski.

Mardi 14/26 mars 1867.

Ouf! chère Madame Viardot, quelles journées je viens de passer! Je vais vous les raconter en détail. Vous vous rappelez que je devais partir samedi pour Spasskoïe. Je me suis mis en route en effet, vers 5% h avec un valet de chambre et mon intendant1. Il y a un chemin de fer qui va d'ici à une ville nommée Serpoukhoff - à 90 verstes de Moscou; un traîneau couvert m'y attendait pour continuer le voyage. Je ne me sentais pas bien dès le matin; à peine établi dans un wagon, je fus pris par une toux violente qui ne fit que croître et embellir; arrivé à la gare de Serpoukhoff qui se trouve à 4 verstes de la ville, je m'installai pourtant dans mon traîneau; mais grâce aux épouvantables oukhabi (vous savez ce que c'est) de ces affreuses 4 verstes, j'atteignis Serpoukhoff avec une vraie fièvre de cheval. Impossible de songer à continuer le voyage. Je passai une nuit blanche dans une misérable chambre d'auberge avec 100 pulsations à la minute et une toux qui me brisait la poitrine et dès 7 heures du matin, je dus dans ce triste état me soumettre de nouveau à la torture des "oukhabi" et regagner plus mort que vif le chemin de fer et Moscou. La maison deMasloff me sembla un vrai paradis après cet enfer2 - j'envoyai vite chercher un médecin - et grâce aux sudori-fiques, purgatifs et autres médicaments me voici aujourd'hui capable de vous écrire et de vous raconter mes misères. Cela n a été qu'une assez forte bronchite - dans trois ou quatre jours il n'y paraîtra pas. Mais voyez le contretemps! Le voyage de Spasskoïe est plus indispensable que jamais - j'ai envoyé mon intendant prendre des devants - il faut que je recommence ma tentative - et nous sommes ici en Russie, à la veille du temps où toutes les communications cessent grâce à la fonte des neiges. Si mon oncle voulait être raisonnable et laisser les choses s'arranger par écrit! Mais il ne le sera pas, ne le voudra pas. J'ai pourtant rassemblé toutes mes forces, je lui ai écrit aujourd'hui une longue lettre, peut-être fera-t-elle quelque impression sur lui3. Enfin - me voilà dans un joli pétrin. Mais {Далее зачеркнуто: le principal <главное>} je me console à l'idée que cela aurait pu être plus grave. Je vous tiendrai au courant de ce qui m'arrivera.

J'ai eu un autre grand plaisir en rentrant avant-hier à la maison; j'ai trouvé vos deux lettre - celle que vous aviez adressée à Pétersbourg et l'autre avec l'adresse de Massloff (fort exactement écrite) - et la lettre de Viardot4. Si l'inventeur du télégraphe électrique est un grand homme, l'inventeur de l'écriture - Cadmus je crois - n'est pas à dédaigner5. Quelle charmante chose que cette feuille de papier qui vient à vous à travers l'espace et qui apporte l'empreinte physique et morale d'une vie qui vous est chère! J'ai lu et relu ces chères lettres - et je crois que c'est ce qui m'a guéri. Vous verrez que je finirai par devenir amoureux de la reine et de toute la maison royale de Prusse, ils sont vraiment bien gentils avec vous6. Cela leur fait beaucoup d'honneur - mais je ne leur en suis pas moins reconnaissant. Quant au programme de la soirée de Pietsch - c'est fantastique - et je m'imagine le bravos {Это слово написано неразборчиво.}. Oh si je pouvais entendre maintenant une seule fois "Räthsel"7! Voici le cas de répéter: patience, patience! On me promet de m'apporter demain les premières {Слово "premières" - вписано.} épreuves de mon roman8. Quand je pense que toutes les choses pour lesquelles je suis venu en Russie ne font que commencer9... Il ne faut pas que je m'appesantisse trop sur ces pensées - ma fièvre me reprendrait. Je continuerai demain; j'espère être en état de vous dire que je suis guéri. Mon pied est à peu près revenu à son état normal; j'inaugure la botte dans trois ou quatre jours, quand je pourrai sortir. Ecrivez-moi, s'il vous plaît, combien de nouvelles élèves vous avez amenées avec vous à Bade10. Quant à Mlle Schroder,; elle n'a que ce qu'elle mérite.

Mercredi.-- Ma bronchite a disparu ou à peu près - elle a été courte et bonne. Je recommence après demain vendredi l'assaut de Sébastopol11, je ne resterai que deux jours à Spasskoïé. Je vous écrirai encore d'ici là. Oh, quelle corvée, quelle corvée que tout ce voyage! Enfin pourvu que tout aille bien chez vous. Mille amitiés au bon Viardot (j'espère que son lumbago a disparu comme ma bronchite), à tout le monde; je vous serre les deux mains de toute la force de mon attachement. Portez-vous bien!

Der Ihrige

J. T.

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