Полине Виардо - Письма (1866-июнь 1867) - Мемуары и переписка- Тургенев Иван Сергеевич

28 марта (9 апреля) 1867. Москва

Moscou.

Au comptoir des Apanages,

boulevard Pretchistenski.

Mardi, 9 avril/28 mars 1867.

Année climatérique1, année climatérique, chère Madame Viardot, je ne sors pas de là. Voici que mon pied va mieux - et ma lecture ratée samedi doit avoir lieu demain mercredi2 - (par parenthèse - le jour même où vous chantez à Strasbourg) - eh bien - autre misère: Mr Katkoff me fait de si grandes difficultés pour mon malencontreux roman, que je commence à croire qu'on ne pourra pas le publier dans sa revue - ce qui - 1°) me ferait perdre quelque chose comme 2000 roubles argent - et 2°) retarderait encore mon départ - car il faudrait trouver un autre éditeur soit à Pétersbourg, soit ici--ce qui ne se fait pas en un tour de main. Mr Katkoff veut à toute force faire d'Irène une vertueuse matrone - et de tous les généraux et autres messieurs qui figurent dans mon roman - des citoyens exemplaires. Vous voyez que nous ne sommes pas près de nous entendre. J'ai fait quelques concessions - mais aujourd'hui j'ai fini par dire: halte-là! Nous verrons s'il cédera. Quant à moi, je suis bien décidé à ne plus reculer d'une semelle: les artistes doivent aussi avoir une conscience et je ne veux pas que la mienne me fasse des reproches3. Enfin - vous voyez quel embrouillamini que tout cela - et vendredi, coûte que coûte, je dois pourtant partir. Je vous Jure que quand je me verrai enfin à Bade - je pousserai un Ouf! à faire trembler toutes les montagnes de la Forêt Noire. Cela se gâte aussi - naturellement - du côté de mon oncle. Mais comme il a accepté ma pension, il, a par cela même donné sa démission - et ce n'est plus qu'une affaire de temps avec quelques tiraillements de plus ou de moias4. Avec tout cela, le temps est mauvais - et toujours cette neige devant les yeux. J'en deviendrai malade! Mais parlons d'autre chose.

Je suis véritablement épris de la reine de Prusse et si jamais elle me donnait sa main à baiser, je le ferais avec le plus grand plaisir. Il est impossible d être plus gracieuse - et on sent qu'elle a pour vous une véritable affection - ce qui la rend charmante à mes yeux5. Avec tout celat il n'est pas impossible que votre marche militaire ne retentisse sur un champ de bataille... dans les environs du Rhin. On est très inquiet ici; la baisse terrible à Paris que le télégramme nous a annoncée aujourd'hui commence à faire rêver les plus insoucients - et l'on se dit que malgré l'Exposition6, Franèais et Prussiens pourraient bien en venir aux mains pendant le cours de l'été. Il ne faut pas s'y tromper: si cela devait arriver - la Russie se mettrait franchement du côté de la Prusse comme en 18137 - l'opinion publique est très anti-franèaise dans notre pays - et voyez la bizarrerie: dans ce conflit - ce serait le Prussien qui représenterait le progrès, la civilisation et l'avenir - et le Franèais - le fils du Franèais de 18308 - la routine et le passé9!

Je sais bien que c'est insupportablement long et ennuyeux - copier de la musique, mais faites-le, et pour Gérard et pour l'éditeur de Berlin10. Je suis sûr que cela aura un grand succès et vous encouragera à continuer.

Merci pour les détails sur vos élèves et pour la chronique de Bade... Diable, diable! Il se passe chez vous bien de choses extraordinaires. Je ne m'étonne pas qu'on n'ait pas encore commencé le travail de la maison chez moi11. Année climatérique!

Serait-il possible que je ne retrouve pas Mme Anstett à mon retour? Elle était plus sédentaire que cela de mon temps.

Si Dieu me prête vie, dans une semaine à pareille heure - j'aurai déjà franchi la frontière12... Mais on ne peut rien savoir de positif. Je vous écrirai demain après la lecture13 - et la lettre partira jeudi. En attendant - mille et mille amitiés à tout le monde; je vous embrasse les mains avec tendresse. Demain soir j'applaudirai pour me mettre au diapason14. Auf Wiedersehen!

Der Ihrige

J. T.

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